La grève suspect

Elke, essoufflée, s'appuya contre ses genoux et écouta attentivement l'hypothèse que Karl Olsfer prononça.

"Je... je l'ignore, lui répondit celle-ci. En tout cas, ce gaillard me paraît bien louche, mais d'après ce que j'ai pu apercevoir, les ouvriers enragés se sont chargés de son cas."

Tremblotant d'avoir fait un effort si soudain et impressionnée par cette foule de brutes épaisses mécontentes qui voulait leurs peaux, Elke peina à sortir sa boîte à cigarettes mais parvint à en allumer une, et reprit peu à peu ses esprits.

"Que fait-on, maintenant ? demanda t-elle à ses compagnons. Profitons-nous de toute cette agitation là-bas pour tenter de pénétrer dans l'usine, ou allons-nous interroger cet énergumène qui a provoqué tout ce bourbier ?"

- "Pour l'interrogatoire, nous le ferons quand il y aura un peu plus de calme dit Rodan tout essoufflé. Je ne sais pas si c'est vraiment pour nous empêcher d'aller à l'usine. Comment aurait-il pu le savoir ? A moins qu'il soit un espion envoyé par les patrons. C'est peut-être juste un simple voleur qui profite du raffut pour jouer au pickpocket.

Il reprit un souffle normal.

- "Bon bah, allons dans l'usine, avant que les grévistes se rappellent de notre existence."

"FOUTEZ-MOI LE CAMP DE MON CARTON !" entendit-on soudainement, ce qui en fit sursauter plus d'un.

Un vieillard dont on pouvait distinguer la bouche grâce à la pipe qui dépassait de sa longue barbe jaune se trouvait là, affalé sur plusieurs cartons dépliés et accoudé sur une pile de vieux bouquins. On voyait à peine son visage, caché par une casquette miteuse de marin trop grande, mais on parvenait à deviner son expression agacée.

"VINDIOU ! TRIPLE BUSE ! postillonna le vieil homme aux visages de ceux qui perturbaient son moment de quiétude. J'me retire exprès d'la ville pour bouquiner tranquillement sans être troublé par ces chiards de mômes et ces vieilles bigotes fripées, et v'là qu'on vient m'emmerder jusque là, entre cette foule de gueulards et trois jeunots qui se permettent de marcher sur MON carton !"

Il plongea sa main dans son veston troué pour en ressortir un flacon de whisky. Il but une gorgée cul sec, referma son flacon, éructa puis se remit à sa lecture, en fredonnant une chanson populaire.